Maimai : le LinkedIn chinois qui façonne le réseautage professionnel
Quand on vit en Chine en tant qu’expatrié, il est impossible de passer à côté des différences profondes dans la manière dont les gens communiquent, travaillent et entretiennent leurs réseaux. En Occident, le réflexe est souvent LinkedIn. Ici, LinkedIn a disparu du paysage numérique : d’abord réduit à une version simplifiée appelée InCareer, puis totalement retiré du marché en 2023. Dans ce vide, une plateforme a pris le relais et s’est imposée : 脉脉 (Màimài).
Qu’est-ce que Maimai ?
Maimai se présente comme une application de réseautage professionnel. Son nom en chinois, 脉脉, évoque les “connexions” ou les “liens subtils” qui circulent entre les gens. Là où LinkedIn insiste sur le CV en ligne et la vitrine publique, Maimai met l’accent sur la conversation, l’échange et une forme de communauté semi-anonyme.
On peut y trouver :
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des profils professionnels, bien sûr,
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des offres d’emploi,
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mais surtout des discussions de groupes, des “moments” partagés par les utilisateurs, parfois anonymes, où l’on parle de son entreprise, de sa carrière ou de ses ambitions.
C’est un mélange entre un réseau social et une plateforme de job hunting, avec une dose d’anonymat qui change tout.
L’anonymat, une particularité chinoise
L’une des grandes différences avec LinkedIn, c’est que sur Maimai, beaucoup d’utilisateurs postent de manière anonyme. Pourquoi ? Parce que cela leur permet d’exprimer leurs frustrations ou leurs ambitions sans risquer de froisser leur entreprise ou leurs supérieurs.
J’ai été surpris la première fois que j’ai vu un fil de discussion où des employés de grandes entreprises comme Alibaba, Huawei ou ByteDance discutaient librement de leurs salaires, de leurs conditions de travail ou des stratégies internes de leur boîte. En France, un tel niveau de transparence m’aurait semblé impensable. Ici, Maimai devient une soupape : un lieu où les professionnels osent dire ce qu’ils pensent, protégés par l’anonymat.
Un ami chinois Marcus Zhan, m’a expliqué un jour : “在脉脉上,你可以说真话。” (zài Màimài shàng, nǐ kěyǐ shuō zhēnhuà – sur Maimai, tu peux dire la vérité).
Une mine d’informations pour les chercheurs d’emploi
Pour un expat comme moi, Maimai est aussi un outil précieux pour comprendre le marché du travail local. Les discussions anonymes révèlent des choses qu’aucun site officiel ne dira : la culture d’entreprise réelle, les tensions internes, les salaires pratiqués, les avantages cachés.
Un exemple concret : en cherchant à mieux comprendre le secteur de la tech à Shenzhen, j’ai trouvé sur Maimai des témoignages d’ingénieurs expliquant en détail le rythme du fameux “996” (travailler de 9 h à 21 h, six jours sur sept). Ce genre de retour brut permet de voir au-delà des brochures corporate et d’anticiper ce qui nous attend si on envisage de rejoindre une entreprise chinoise.
Maimai et le guanxi
En Chine, tout le monde connaît le concept de 关系 (guānxì) : l’importance des relations personnelles et professionnelles. Plus qu’un carnet d’adresses, c’est un système de confiance mutuelle qui ouvre des portes. Maimai s’inscrit dans cette logique : il ne s’agit pas seulement d’afficher son CV, mais de cultiver des liens, visibles ou invisibles, entre collègues, amis et amis d’amis.
Lorsque j’ai commencé à utiliser l’application, j’ai rapidement reçu des demandes de connexion de personnes que je ne connaissais pas directement, mais qui avaient “un ami commun” ou qui travaillaient dans le même secteur. Ces micro-connexions reflètent bien la mentalité chinoise : tout lien, même lointain, peut un jour se révéler utile.
Différences culturelles avec LinkedIn
Pour moi, la différence clé est dans l’usage. LinkedIn est très orienté vers la visibilité publique et le “personal branding” : on publie un article, on affiche ses réussites, on soigne son image. En Chine, sur Maimai, c’est plus subtil :
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On s’informe en lisant ce que les autres disent de leur entreprise.
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On partage parfois ses frustrations sous couvert d’anonymat.
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On utilise l’application comme un outil de recrutement direct, notamment via BOSS直聘, intégré à certains usages.
Le ton est souvent moins officiel, plus cru, mais aussi plus sincère.
Mon expérience personnelle
En tant qu’expat, j’ai voulu tester Maimai pour élargir mon réseau. La première étape a été de créer un profil en chinois, avec mon parcours, mes expériences et mes compétences. J’ai découvert que le simple fait d’écrire en mandarin, même imparfaitement, ouvrait beaucoup plus de portes. Les Chinois apprécient l’effort.
Une anecdote marquante : j’avais posté anonymement une question sur la perception des étrangers dans les grandes entreprises technologiques. J’ai reçu une vingtaine de réponses en une heure, certaines très critiques (“外企员工太贵了” – “les étrangers coûtent trop cher”), d’autres encourageantes (“有国际经验的人能带来新视角” – “les gens avec une expérience internationale apportent une nouvelle vision”). Cet échange m’a donné une vision beaucoup plus réaliste de ma position sur le marché chinois que n’importe quel rapport officiel.
Les limites de Maimai
Bien sûr, tout n’est pas parfait. L’anonymat entraîne aussi des rumeurs et parfois de la désinformation. Il faut apprendre à lire entre les lignes, à croiser les témoignages. De plus, l’application reste très centrée sur les grandes entreprises chinoises, ce qui peut frustrer un expat dans un secteur plus niche.
Enfin, Maimai est profondément chinois : interface, codes culturels, références. Pour quelqu’un qui ne maîtrise pas la langue, l’expérience peut être déroutante. Mais c’est aussi une formidable école de culture locale.
Conclusion
Aujourd’hui, alors que LinkedIn a quitté la Chine, Maimai s’est imposé comme l’espace incontournable du réseautage professionnel. C’est un miroir de la société chinoise : collectif, pragmatique, parfois opaque mais toujours dynamique.
Pour un expat comme moi, alias Nicoco, c’est à la fois une fenêtre et un terrain d’apprentissage. Une fenêtre sur ce que pensent vraiment les travailleurs chinois, et un terrain où je peux tisser mes propres guanxi, petit à petit.
Alors, si vous voulez comprendre la Chine de l’intérieur, au-delà des clichés et des discours officiels, je vous conseille d’oser télécharger Maimai, de créer un profil en chinois, et de plonger dans ce réseau fascinant. Vous y découvrirez un monde où la vérité se cache parfois derrière l’anonymat, mais où les connexions – les 脉脉 – sont bien réelles.